Upstream monte un bateau au grand public (2e partie)

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Il y a deux choses qui dérangent dans la plus récente campagne publicitaire lancée par le groupe environnemental américain Upstream : l’utilisation de données trompeuses (voir à ce sujet la première partie de ce dossier  et l’analyse superficielle et intéressée des activités du secteur de l’emballage de papier et de carton au Canada et aux États-Unis.

 

En résumé, Upstream prétend que le volume total des emballages de papier recyclable envoyés à la poubelle correspond à des pertes astronomiques d’arbres et de superficies boisées. Le titre « Un gaspillage de forêts »1 de la campagne Make It Take It cache un texte hachuré de phrases-choc et s’accompagne de l’obligatoire photo de coupe à blanc, si pénible à voir. L’argumentaire repose sur l’hypothèse que si l’on recyclait tout ce papier « au lieu d’utiliser des fibres de bois », on pourrait réduire les émissions de monoxyde de carbone, ainsi que la circulation routière et la consommation d’énergie. Ces propos sont-ils exacts? Qu’en est-il de la réalité canadienne?

 

D’abord, il faut dire que l’emballage de papier destiné à la consommation qu’on retrouve dans les dépotoirs canadiens se compose essentiellement de fibres recyclées, à hauteur de 70 % au bas mot2. Ces fibres ont été recyclées au moins une fois et jusqu’à neuf fois3. Le personnel des usines du secteur ne court pas les bois armé d’une scie à chaine pour trouver des fibres vierges! Elles privilégient les fibres recyclées et puisent leur matière première à même les millions de tonnes d’emballages récupérées en Amérique du Nord. Ces vieux cartons sont ensuite exportés en Asie pour y être recyclés4.

 

Les 30 % de matière « vierge » qui restent dans les dépotoirs canadiens correspondent à moins de 2 500 hectares de surface boisée, moins que la superficie de Port Coquitlam en Colombie-Britannique. Et combien faut-il de « Port Coquitlam » pour couvrir la superficie totale du couvert forestier canadien? Environ 342,0005! Un territoire forestier quatre fois supérieur se perd à cause de l’exploitation pétrolière et gazière, et l’agriculture exige sept fois plus. En fait, les facteurs de perte les plus importants sont les feux de forêt (qui consument 1,9 million d’hectares par an), et les insectes et autres ravageurs forestiers (qui engloutissent à eux seuls 9,2 hectares par an)6.

 

Bien entendu, Upstream néglige de mentionner la régénérescence des zones d’exploitation forestière canadiennes et américaines. Les fibres vierges jetées au dépotoir sont donc remplacées : au Canada, on combine les procédés de régénérescence naturelle et de semis, au rythme de plus de mille semis d’arbres à la minute7.

 

Non, impossible d’être en accord avec les exagérations d’Upstream, ni avec cet intitulé de « gaspillage de forêts » qui vise l’emballage de papier destiné à la consommation. Oui, Upstream a vu juste en affirmant que tout emballage de papier qui se retrouve au dépotoir est un « gaspillage de ressource », qui pourrait autrement être recyclé ou composté. Au lieu de jouer la corde sensible de la coupe à blanc et de porter le blâme sur le secteur des pâtes et papier, Upstream aurait avantage à recentrer sa campagne sur le « pourquoi » de ce gaspillage. Personne ne souhaite que l’emballage de papier se retrouve au dépotoir : c’est de la matière première! Le secteur des pâtes et papier n’a aucun droit de regard sur les coûts relatifs de ce gaspillage. C’est l’affaire des administrations provinciales et nationale de voir à la réglementation des programmes de récupération. Voilà un point fort intéressant, qui fera l’objet d’un autre blogue…

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1 Voir la page A Waste of Forests (campagne Make It, Take It du groupe environnemental Upstream).

2 En fait, c’est bien plus que 70 %, car l’emballage importé de pays comme la Chine, connu pour son taux élevé de contenu recyclé, n’a pas été pris en compte. Au Canada, la plupart des emballages de papier et du carton pour boîtes pliantes contiennent 100 % de fibres recyclées. Ces fibres proviennent de vieux cartons récupérés après usage industriel, commercial ou résidentiel. Le contenu moyen en fibres recyclées des emballages de papier et de carton atteint 80 %. Au Canada, il n’y a que trois usines qui utilisent des fibres de bois à 100 %, et quelques-unes seulement qui combinent des fibres de bois et des fibres recyclées. Les fibres de bois ne proviennent pas en soi d’arbres entiers, mais de copeaux de bois et de chutes de sciage du secteur du bois d’œuvre (qui est utilisé dans la construction des maisons et des hôpitaux, par exemple). Voir à ce sujet le communiqué sur le recyclage des vieux cartons publié le 18 juin 2012 par le CEEPC http://www.ppec-paper.com/pdfFiles/information/frenchVersions/PPEC_OCC_BanPressRelease_FR-CA_rev2.pdf.

3 Les fibres de papier peuvent être recyclées entre quatre et neuf fois. Lorsque les fibres sont trop usées, on ajoute au mélange une portion de fibres de bois, plus longues et plus résistantes (voir à ce sujet le blogue Réflexions sur le sens de la vie, et sur le papier

4 Les États-Unis exportent annuellement presque 9 millions de tonnes de vieux cartons recyclés, principalement en Chine.

5 Vu le manque de données à l’échelle nationale concernant les résidus d’emballages destinés à la consommation, on a extrapolé les données sur les résidus résidentiels de l’Ontario en tenant compte de la population canadienne de 2012 et en considérant que les habitudes de mise au rebut sont similaires dans toutes les provinces canadiennes. Du volume total d’emballage de carton trouvé dans les décharges publiques (440 811 tonnes), on a déduit le volume de contenu recyclé (303 291 tonnes, ou 69 %). Le calcul repose sur le taux moyen de contenu recyclé de l’emballage produit au Canada (81,1 % pour le carton ondulé, 70 % pour le carton pour boîte ou boîte pliante, et 80 % pour le carton couché). On obtient un volume total de 137 520 tonnes de fibres vierges envoyées au dépotoir. Ce nombre a ensuite été converti en tonnes courtes, avec le même ratio tonne/acre qu’utilise Upstream (0,04 par acre). Cela donne 6 083 acres (ou 2 452 hectares). La superficie de Port Coquitlam, à peine plus grande, fait 2 917 hectares.

6 Voir le blogue du CEEPC sur la déforestation ici. Les données proviennent du rapport annuel 2013 intitulé L’état des forêts au Canada (Environnement Canada/Ressources naturelles du Canada 2013, p. 16 et 45).

7Voir le blogue du CEEPC intitulé Plus de mille semis d’arbres par minute plantés au Canada.

John Mullinder

Executive Director Paper & Paperboard Packaging Environmental Council (PPEC)
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