Suzuki se trompe complètement sur l’économie circulaire du papier

En tant qu’admirateur de longue date du style mordant de l’animateur et auteur canadien David Suzuki, il est difficile pour moi de souligner trois erreurs majeures dans son dernier article d’opinion. Je le fais parce que son affirmation selon laquelle le papier ne fait pas l’objet d’une économie circulaire, et encore moins d’une économie durable, est totalement fausse et fondée sur des informations manifestement erronées. 

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Suzuki: three major errors

FAUSSE ALLÉGATION NO 1 : Une « partie importante de la forêt boréale [est] exploitée pour la production de papier hygiénique ». 

C’est une exagération grossière, comparable à celles de Donald Trump. Il est absurde de prétendre qu’une « partie importante » de la forêt boréale est réduite en pâte* pour quoi que ce soit, et encore moins pour produire du papier hygiénique. Selon les estimations du Service canadien des forêts, seulement 0,16 % de la forêt boréale du Canada est récoltée chaque année. Oui, seulement 0,16 %. J’admets volontiers que je n’étais pas très fort en math au secondaire, mais je ne pense pas que 0,16 % puisse passer pour une « partie importante ». Sans blague, 0,16 %! [i] 

D’autant plus que cette récolte se fait surtout pour le bois d’œuvre qu’on utilise pour construire des maisons, des hôpitaux, des écoles, etc. Ce qui reste (les copeaux, les rognures et la sciure de bois) est sûrement utilisé à d’autres fins (comme fournir de l’énergie à une scierie et à la collectivité locale ou fabriquer des produits de papier), mais le but premier de cette récolte est le bois d’œuvre, et non les produits papetiers. Par conséquent, lorsque personne ne construit de maisons (par exemple, en période de récession), les récoltes globales diminuent considérablement. [ii] 

Il est plutôt difficile de calculer la part de la récolte boréale qui sert spécifiquement à fabriquer du papier hygiénique parce que les résidus de scierie qui sont utilisés sont par la suite transformés en papier, tant au Canada qu\’à l\’étranger, et en d’autres produits (papier d’impression et d’écriture, essuie-tout et même certains types d’emballage). Toutefois, en supposant que d’autres pays utilisent la pâte de la même manière que le Canada, l’Association des produits forestiers du Canada (APFC) estime que moins de 5 % de la pâte de bois produite au Canada et moins de 1 % de la quantité totale de bois récolté (pas seulement dans la forêt boréale) sont transformés en papier hygiénique chaque année. [iii] 

Donc, cette affirmation exagérée selon laquelle « une partie importante » de la forêt boréale est « exploitée pour la production de papier hygiénique », eh bien, c’est de la foutaise. Et n’oublions pas qu’au Canada, la loi exige que toute zone récoltée soit régénérée avec succès après la récolte, que ce soit de façon naturelle ou artificielle par la plantation ou l’ensemencement d’arbres. Pour ce faire, le Canada plante plus de mille nouveaux semis à la minute. Cela me semble tout à fait circulaire. 

FAUSSE ALLÉGATION NO 2 : « L’abattage de forêts jamais exploitées pour produire plus de papier hygiénique, de papier d’emballage et d’autres produits papetiers que nous recyclons à peine ne sera jamais circulaire, et encore moins durable. » 

Suzuki, tout comme le groupe environnemental de Vancouver Canopy avant lui, est malheureusement mal informé au sujet de l’utilisation répandue des résidus de scierie et du papier recyclé au Canada. [iv] Je conviens volontiers que la majeure partie du papier hygiénique n’est pas recyclé après usage (pour des raisons évidentes), mais le Canada, en fait, a un bilan plutôt satisfaisant en matière de recyclage des produits de papier usagés. Selon le World Business Council for Sustainable Development, le taux de récupération du papier en Amérique du Nord est de près de 70 %, soit l’un des plus élevés au monde. [v] Dans les enquêtes semestrielles de Statistique Canada sur le réacheminement des déchets, le papier arrive en tête de toutes les matières; il représente près de 40 % de l’effort total de recyclage du Canada. [vi] En ce qui concerne l’emballage, Suzuki ignore manifestement le fait que la plupart des emballages canadiens ne sont pas faits à partir d’arbres vierges.Ils sont majoritairement composés à 100 % de matières recyclées, ce qui est l\’incarnation même d\’une économie circulaire. Le taux de récupération des vieilles boîtes en carton ondulé dans les boîtes bleues de l’Ontario, par exemple, a atteint un taux incroyable de 98 %, quatre ans de suite. Avant de faire des affirmations aussi inexactes, assurez-vous de vérifier les faits. 

FAUSSE ALLÉGATION NO 3 : « Le plan stratégique 2020 pour le secteur forestier de l’Ontario prévoit une augmentation de 35 % de la production de papier-mouchoir et de 25 % du papier d’emballage. » 

Désolé, David, ce n’est pas le cas. Vous vous êtes trompé. Le plan stratégique pour le secteur forestier dont vous parlez fait mention de la demande mondiale de pâte à papier pour la prochaine décennie, et non pas de celle de l’Ontario. L’Ontario nous semble peut-être une grande province, mais elle n’a pas beaucoup d’importance sur la scène mondiale. [vii] En outre, si la production d’emballages venait à augmenter autant en Ontario, il s\’agirait de toute façon d\’emballages composés à 100 % de matières recyclées. Désolé, mais vous vous êtes complètement fourvoyé. 

Rassemblez tous ces faits et l\’argument fragile de Suzuki s\’effondre totalement. En fait, de toutes les industries au Canada, c\’est probablement celle du papier qui a le plus de chances d\’être durable et circulaire. Contrairement à la plupart des autres ressources, celle que le papier utilise est renouvelable. Le Canada est aussi sans conteste le leader mondial en matière de forêts certifiées pour leur gestion durable. La plupart des usines canadiennes sont certifiées par un tiers indépendant pour la traçabilité (approvisionnement responsable) et l’industrie (surtout le secteur de l’emballage) est très active dans le domaine du recyclage et de la récupération du papier. Ensemble, ces facteurs font sans doute de l’industrie du papier l’un des exemples les plus importants et les plus réussis d’économie circulaire au Canada aujourd’hui. La prochaine fois, assurez-vous de bien vérifier les faits avant de vous prononcer. 

N.D.T. Le verbe « pulped », qui signifie réduire en pâte, a été traduit par « exploitée » dans la version française de l’article de Suzuki. 


[i] La surface forestière totale du Canada comprend quelque 12 écozones terrestres distinctes dont le taux d’exploitation varie, mais se situe en moyenne à environ 0,22 % dans l’ensemble (Rapport annuel sur l’état des forêts au Canada, 2019). La forêt boréale se trouve dans sept de ces écozones (la taïga des plaines, la taïga du Bouclier, le bouclier boréal, les plaines boréales, la taïga de la cordillère, la cordillère boréale et les plaines hudsoniennes). Bien que la forêt boréale occupe une grande superficie de la forêt totale (82 %), elle ne représente que les trois cinquièmes de la superficie récoltée, selon une analyse du Service canadien des forêts portant sur les années 2000 à 2015. Il s’agit de 453 600 hectares récoltés sur 285 millions d’hectares de forêt boréale (ou 0,16 %). 

[ii] « Si le marché du bois d’œuvre subit un ralentissement comme lors de la récession de 2008-2009, alors rien ne sert de récolter des arbres. En fait, la récolte sur les terres provinciales pendant l’année de récession de 2009 a été la plus faible depuis 1990. » (Citation de Deforestation in Canada and Other Fake News de JOHN MULLINDER, d’après les données de l’Inventaire forestier national, tableau 6-2). 

[iii] Estimations de l’APFC, Enquête sur l’environnement de l’APFC. Notons également qu’environ 60 % du papier hygiénique au Canada est fait à partir de papier recyclé. 

[iv] Plus de 90 % des matières premières utilisées par l’industrie canadienne des pâtes et papiers sont des résidus de scieries et du papier recyclé. Source : ROTHERHAM and BURROWS (2014). Improvement in efficiency of fibre utilization by the Canadian forest products industry 1970-2010. Forestry Chronicle 90 (66). 

[v] WORLD BUSINESS COUNCIL FOR SUSTAINABLE DEVELOPMENT, Facts & Trends : Fresh & Recycled Fiber Complementarity (2015). 

[vi]  STATISTIQUE CANADA, Matières réacheminées, par type, tableau 38-10-0034-01.  

[vii] DUNCAN BRACK, Total Expected Growth in Global Forest Products Demand in Next Decade, UN Forum on Forests, avril 2018. 

John Mullinder

Executive Director Paper & Paperboard Packaging Environmental Council (PPEC)
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