L’incinération des plastiques et l’approvisionnement en fibres recyclées

OLYMPUS DIGITAL CAMERA

L’industrie des plastiques n’a jamais dissimulé son ambition d’incinérer plus d’un million de tonnes de plastiques « non recyclables » par année, et ce, sur le seul territoire ontarien[1]. Cette stratégie prétend régler un problème de gestion des déchets : environ 73 % de l’emballage de plastique utilisé par les foyers ontariens finissent au dépotoir[2], et ce volume pourrait alimenter les installations d’énergie provenant de déchets, que l’industrie des plastiques voudrait plus nombreuses. Voici le raisonnement : l’incinération (pour autant que l’on en tire de l’énergie) vaut mieux que l’accumulation de déchets plastiques dans les dépotoirs.

L’industrie papetière ne peut s’opposer à cette technologie. Après tout, dans les usines de papier kraft, on utilise les parties de l’arbre qui n’entrent pas dans la composition du papier comme carburant. Nous allons toutefois laisser le soin aux experts de jauger la pollution de l’air attribuable aux installations d’énergie provenant de déchets et d’évaluer dans quelle mesure l’argent des contribuables devrait être investi dans de tels projets.

Notre principale préoccupation touche en fait la question de l’approvisionnement en matière première : le secteur canadien des pâtes et papiers dépend largement des stocks de papier et de carton récupérés après usage industriel, commercial ou résidentiel. Pour la plupart, les emballages et les cartons produits au Canada contiennent 100 % de matière recyclée. Les usines sont situées près des centres urbains afin de tirer profit des stocks de matière première qui se trouvent à proximité. Le papier et le carton représentent près de 70 % des matières sèches recyclables consommées par les foyers ontariens, et près de 80 % de ce volume est récupéré grâce au programme provincial de récupération à la source[3].

Si quoi que ce soit perturbe l’alimentation en matières recyclables, les usines de papier et de carton doivent trouver des stocks ailleurs et en payer le fort prix. Ces coûts constituent un enjeu concurrentiel, en particulier lorsqu’on compare les produits de papier et de carton avec certains produits de plastique difficiles à recycler.

Cela nous amène à nous poser un certain nombre de questions. De quelles matières a-t-on besoin pour produire l’énergie voulue, et en quelle quantité? Les coûts des installations d’énergie provenant de déchets sont-ils justifiés? Le volume des plastiques « non recyclables » suffit-il à alimenter de telles installations? Aura-t-on besoin de papier et de carton recyclés? Si oui, de quel type et en quelle quantité? Quel sera l’impact de ce manque à gagner sur le secteur des pâtes et papiers et sur le fonctionnement des programmes de récupération à la source? Les matières utilisées dans les installations d’énergie provenant de déchets seront-elles considérées comme des matières recyclées ou comme des déchets détournés des sites d’enfouissement? Qu’en est-il du financement des programmes de récupération? Comment ces programmes composeront-ils avec le fait que 82 % des emballages de plastique du secteur résidentiel changent de catégorie et soient « recyclées » par les installations d’énergie provenant de déchets? Quels sont les coûts de ce détournement de déchets[4]?

Beaucoup de questions, peu de réponses.

_______________________________________________________________

[1] (M.E. Haight et N. Antadze (Université de Waterloo), Tableaux 2 et 3 « Residential and IC & I Disposal of Plastics » (p. 11-12), Energy and Economic Values of Non-Recycled Plastics (NRP) Currently Landfilled in Canada, déc. 2012. Rapport commandé par l’Association canadienne de l’industrie des plastiques (ACIP). Données citées dans le communiqué de l’ACIP du 18 janvier 2013.

[2] Stewardship Ontario, Ontario Blue Box Generation and Recovery Data, Tableau 1, 2012.

[3] Ibid.

[4] Stewardship Ontario, ibid. « Household generation of plastic film, laminants, polystyrène and other plastics together with PET and HDPE bottles currently landfilled » (Production de déchets en plastiques des foyers ontariens : pellicule en plastique, laminats, polystyrène et autres produits de plastique, y compris les bouteilles en PTPE et les bouteilles HDPE).

John Mullinder

Executive Director Paper & Paperboard Packaging Environmental Council (PPEC)
Scroll to Top