Des allégations mensongères et un manque de rigueur journalistique ajoutent à la confusion du public sur le déboisement au Canada

La plupart des Canadiens ont du mal à croire que l’industrie forestière n’est responsable que d’une infime partie du déboisement au Canada et que le Canada a l’un des taux de déboisement les plus faibles au monde (0,01 %).

La confusion générale du public découle en partie de la définition du mot lui-même dans les accords internationaux. L’abattage d’un arbre ou d’une partie de la forêt, par exemple, ne signifie pas pour autant qu\’il y a déboisement quand la récolte est suivie de la régénération de cette forêt.

Selon le droit canadien, les entreprises forestières doivent reconstituer ou réapprovisionner la ressource qu’elles ont récoltée par régénération naturelle ou artificielle (plantation et ensemencement d’arbres). Parce qu’elles le font, en remplaçant la forêt qu’elles ont récoltée, le déboisement net dont elles sont responsables est minime. En fait, le taux de déboisement de l’industrie forestière est proche de zéro (0,0004 %)*, principalement en raison de la création de nouvelles routes d’accès permanentes dont l’industrie a besoin pour atteindre les zones de récolte plutôt que de la récolte elle-même.

La faible contribution de l’industrie forestière au déboisement n’est pas une supposition. Les données proviennent du Système national de surveillance du déboisement (SNSD) très perfectionné mis sur pied par Ressources naturelles Canada et le Service canadien des forêts, qui utilise des photographies aériennes et des satellites (télédétection), ainsi que des observations faites directement sur le terrain par des scientifiques forestiers qualifiés. Les conclusions sur le déboisement du SNSD sont publiées chaque année dans un rapport sur L’état des forêts au Canada présenté au gouvernement fédéral.

ALLÉGATIONS MENSONGÈRES

Parlons d’abord des allégations mensongères. Un groupe environnementaliste de Toronto, la Wildlands League, a récemment affirmé que le déboisement annuel causé par l’industrie forestière de l’Ontario était plus de sept fois plus élevé que le taux déclaré de déboisement forestier dans l’ensemble du Canada.

Cette affirmation est fondée sur une étude de ce qu’on appelle les « jetées » dans 27 sites du nord-ouest de l’Ontario, en extrapolant ses conclusions au reste de la province. Qu’est-ce qu’une jetée? Essentiellement, il s’agit d’une toute petite zone où des arbres entiers sont parfois tirés de la souche jusqu’au bord de la route afin de pouvoir séparer les billes de bois commercialisables des déchets de bois. Selon la Wildlands League, ces résidus de récolte sont ensuite brûlés ou simplement laissés sur place pour qu\’ils pourrissent. Le sol se compacte avec le temps, et la forêt se régénère peu sur ces sites.

Du point de vue statistique et de l’exactitude, il est problématique d’extrapoler à la superficie totale de récolte de l’Ontario les estimations issues de 27 sites d’étude dans une seule région. Sur la plupart de ces sites d’étude, ce sont des arbres entiers qui ont été récoltés il y a deux ou trois décennies, et on ne sait pas exactement dans quelle mesure ces méthodes d’exploitation forestière sont encore appliquées aujourd’hui. Et toutes les zones récoltées en Ontario ne sont pas des forêts qui n’ont jamais été récoltées auparavant. On ne devrait donc pas extrapoler les pertes forestières mentionnées dans l’étude à l’ensemble de l’Ontario, et surtout pas aux régions qui ont déjà un réseau routier.

Il est vrai, cependant, que bon nombre de ces jetées en Ontario ne sont pas en très bon état, comme le signale la Wildlands League. Les estimations actuelles des émissions et des absorptions de carbone dans l’atmosphère ne représentent pas adéquatement ce phénomène.

Mais la principale question au sujet des jetées est qu’elles ne sont pas incluses dans les estimations du déboisement, même si la Wildlands League aimerait qu’elles le soient. Les jetées se trouvent toujours sur des terres forestières. Elles n’ont pas été converties à des fins non forestières comme les terres agricoles, les projets pétroliers et gaziers, les réservoirs hydroélectriques, les sites d’extraction minière, les lotissements résidentiels, les stations de ski et les terrains de golf.

Cette définition du déboisement (conversion des terres forestières en terres non forestières) n’a pas été proposée par le Canada. Elle est largementacceptée par les Nations Unies et d’autres institutions internationales comme l’Organisation des Nations Unies pour l\’alimentation et l\’agriculture, et elle s’applique également aux terres converties dans l\’autre sens, soit de terres non forestières à terres forestières (boisement). Les « événements » de changement dont la taille est inférieure à un hectare (y compris les jetées) sont exclus de ces définitions. Quelques petits pays européens ont choisi d’adopter des zones minimales plus petites (0,5 hectare), mais ce niveau de détail n’est pas économiquement ou pratiquement réalisable dans un pays de la taille du Canada.

La Wildlands League a beau vouloir changer les définitions internationales du déboisement (on lui souhaite bonne chance!), mais sa véritable cible devrait être l’incapacité de régénérer la forêt où se trouvent les jetées, et cette responsabilité incombe directement à chaque province. Les provinces devraient faire appliquer les exigences de régénération des permis forestiers qu’elles ont accordés sur les terres provinciales (publiques). 

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Il est évidemment très important de réussir à régénérer la forêt, mais l’utilisation d’une mauvaise définition du déboisement (mot émouvant dans le meilleur des cas) ne fait qu’ajouter à la confusion du public. Pire encore, cela détourne l’attention de la nécessité de faire quelque chose au sujet des principales causes du déboisement au Canada que sont la conversion des terres forestières en terres agricoles, l’exploitation pétrolière et gazière, les nouvelles lignes électriques, les inondations liées à la création de réservoirs, l’exploitation des mines et des tourbières ainsi que le développement urbain municipal. 

MANQUE DE RIGUEUR JOURNALISTIQUE

Parlons maintenant du manque de rigueur journalistique. La Wildlands League a présenté son étude au Globe and Mail, qui l’a ensuite présentée en première page en plus de publier à l’intérieur du journal un long article de deux pages accompagné de graphiques et de photographies. L’étude exprime son désaccord avec la définition de déboisement utilisée par le SNSD et critique le ministère des Richesses naturelles et des Forêts de l’Ontario (MRNF) pour son inaction au sujet des jetées.

Toutefois, selon le personnel du Service canadien des forêts, le journaliste du Globe, Ivan Semeniuk, n’a interviewé aucun représentant du NDMS avant la publication de son article. L’article n’indique pas non plus que le ministère de l’Ontario a été contacté. Aucun représentant du MRNF de l’Ontario n’est cité dans l’article. Mais la Wildlands League et le Natural Resources Defense Council, un groupe environnemental américain, ont tous deux été interviewés et cités..

Nous avons donc ici un article important sur le « déboisement » et la régénération des forêts au Canada, mais le journaliste qui en est l’auteur ne s’adresse pas aux personnes responsables du suivi et de la résolution de ces problèmes. S’agit-il d’un reportage fait dans les règles de l’art où tous les aspects de la question sont examinés? En voilà du bon journalisme! 

Il y avait aussi des indices évidents de biais potentiel dans le document de l’étude. Certaines des dépenses effectuées sur le terrain pour l’étude ont été payées par un fervent détracteur de l’industrie forestière du Canada, le Natural Resources Defense Council, et, ce qui est une surprise, par l’Association canadienne du ciment. Qu’est-ce que le ciment a à voir avec les questions forestières? Il se trouve que l’Association canadienne du ciment fait pression contre l’utilisation accrue du bois d’ingénierie, un substitut aux produits du ciment, lesquels ont une plus forte intensité d’émissions dans le secteur du bâtiment. Hummm…

Et puis, il y a ceci : « Les constatations sont particulièrement troublantes parce qu’une grande partie de la forêt ancienne du Canada continue d’être récoltée pour fabriquer des produits à usage unique, jetables, comme les papiers-mouchoirs, ou pour la pâte – des produits pour lesquels il existe d’autres sources. »  C’est une revendication intéressante en soi, mais elle n’a rien à voir avec la régénération des jetées. Rien du tout. Les jetées existeraient, peu importe les produits de la forêt. Qu’il s’agisse du bois utilisé pour construire la maison du journaliste, son bureau, l’école de ses enfants, l’hôpital local ou de la pâte utilisée pour fabriquer du papier d’impression et d’écriture ou des papiers-mouchoirs.

Si le Globe veut s’attaquer sérieusement au déboisement au Canada, il devrait se concentrer sur sa cause principale, c’est-à-dire la conversion des terres forestières en terres agricoles. Les agriculteurs sont des gens bien qui nous fournissent des aliments locaux et qui se démènent pour gagner leur vie. Mais il se trouve qu’ils représentent aussi, collectivement, le plus grand groupe de personnes qui fait disparaître pour de bon la forêt canadienne. En fait, c’est huit fois plus que les industries forestière et papetière, qui sont souvent vilipendées.

Et comme Ivan Semeniuk est un journaliste « scientifique », pourquoi n’informe-t-il pas les Canadiens au sujet de certaines des choses vraiment emballantes qui se passent aujourd’hui dans le domaine des produits forestiers, comme la lutte contre les changements climatiques grâce à des bâtiments plus hauts en bois massif, les nouvelles utilisations de la lignine, la cellulose nanocristalline, les filaments de cellulose et les matériaux biocomposites?      

Alors, voilà : des allégations mensongères et du journalisme bâclé ont semé la confusion dans le public. Le seul bon côté de cette histoire, c’est qu’elle a attiré l’attention sur l’état des jetées. Pourquoi ne pas créer des emplois en les nettoyant? Plantons-y quelques-uns des deux milliards d’arbres promis par Justin Trudeau. Il faut s’en occuper le plus rapidement possible.

* En 2016, les forêts du Canada représentaient 347 millions d’hectares. De ce nombre, quelque 1 368 hectares (0,0004 %) ont été attribués par le Système national de surveillance du déboisement au déboisement lié à la foresterie, principalement pour de nouvelles routes d’accès.

P.S. Je parlerai du déboisement au Canada et d’autres fausses nouvelles (le sujet de mon récent livre, Deforestation in Canada and Other Fake News) lors de la séance sur l’environnement de la Semaine annuelle du papier du Canada, à Montréal, le 4 février.

John Mullinder

Executive Director Paper & Paperboard Packaging Environmental Council (PPEC)
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