Chaque jeudi soir je me bute à deux questions qui vont de pair, celle de la consommation et celle de la gestion durable des matières résiduelles ou, autrement dit, à cette nouvelle marotte des gouvernements qu’est « l’économie circulaire ». Car le jeudi soir, c’est le soir du recyclage.
Je fais d\’abord le tour des chambres et des salles de bain pour ramasser les rouleaux de papier de toilette, les vieilles boîtes de papier mouchoir, les feuilles de papier et les enveloppes. Dans la cuisine et la salle à manger, je prends la boîte de recyclage dans laquelle nous mettons les journaux, les cartons, les boîtes de conserve, les pots de verre et les bouteilles, puis j’attrape le sac de déchets alimentaires (fait de papier compostable, évidemment) qui se trouve sous l’évier et le petit sac poubelle qui contient le reste des déchets. Je vais ensuite dans le garage pour sortir les gros bacs (cette semaine, c\’est le recyclage et le compostage) et les rouler jusqu’au trottoir pour la cueillette du lendemain matin. En tout, ça me prend cinq ou dix minutes. Je suis content de poser ces gestes et d’apporter ma petite contribution à l’économie circulaire.
Ce que je retiens de cet exercice, c\’est que l\’éducation et la commodité sont essentielles. J’ai déjà entendu dire, et c’est très vrai, que le réacheminement des déchets dépend seulement d’un petit coup de poignet au moment crucial où l\’on choisit de mettre quelque chose au recyclage ou au rebut. Si c\’est plus facile de mettre l\’objet au rebut, c\’est le chemin qu’il prend et il y reste la plupart du temps.
Je porte un intérêt particulier à l’amélioration de la récupération du papier et du carton et le système des boîtes bleues de l’Ontario fonctionne très bien en ce sens, car près des trois quarts des produits de papier sont envoyés au recyclage. Cependant, il y a encore beaucoup de papier qui échappe à la cueillette, principalement les vieilles boîtes de carton (comme les boîtes de céréales et les boîtes à chaussure) et le papier d’impression et d’écriture.
Si la majeure partie (disons 85 %) de ce papier parfaitement recyclable que l\’on jette était plutôt recueilli et envoyé au recyclage, la récupération du papier et du carton dans les boîtes bleues atteindrait un taux incroyable de 96 % et le taux de récupération total des boîtes bleues de l’Ontario passerait de 64 % actuellement à un taux impressionnant de 78 %. Je vous assure que c\’est possible si chacun d’entre nous s’y met!
Ce n\’est pas comme s’il n’y avait pas de marchés stables pour les différents produits de papier. Il y en a. En fait, ce sont les usines d’emballage du sud de l’Ontario qui ont engendré le mouvement de récupération du carton pour boîtes en Amérique du Nord dans les années 1990. Il y a vingt ans, la collecte du carton pour boîtes était inexistante alors qu\’aujourd\’hui pratiquement tous les Canadiens (94 %) peuvent le recycler. Il s’agit d’une impressionnante réussite.
Non, contrairement à ce que certains représentants du gouvernement prétendent, ce ne sont pas les marchés qui posent problème, mais la cueillette. Nous ne recueillons pas assez de produits de papier domestique parce que c\’est trop facile de les jeter du revers du poignet. Comment inciter nos concitoyens à choisir le bon bac?
Il faut miser sur l’éducation. La Colombie-Britannique fait des envieux avec son nouveau programme de boîtes bleues et sa liste standard des matières qui sont acceptées dans l’ensemble de la province. Imaginez! Un seul message cohérent sur le recyclage pour toute la province. Ne serait-ce pas formidable? Fin de la confusion, diminution de dépenses de promotion, meilleur taux de récupération.
En même temps, il faut faciliter l’utilisation du système des boîtes bleues. Les municipalités et leurs fournisseurs de services ont été très créatifs à cet égard. En effet, ils encouragent le recyclage en faisant payer les sacs poubelle ou les poubelles et en limitant le nombre de sacs poubelle qu\’il est permis de déposer en bordure de rue et/ou en réduisant la fréquence de la collecte des déchets. Décourager la mise au rebut pour inciter à recycler. C’est excellent. Par ailleurs, il faut reconnaître que les immeubles à logements représentent un problème particulier, car il est beaucoup plus facile d\’utiliser la chute à déchets que de mettre les matières recyclables de côté, puis de les descendre en ascenseur pour les déposer dans le bac de recyclage.
Il faut pourtant éduquer les Canadiens pour qu’ils sachent que la plupart des produits de papier sont parfaitement recyclables, qu’il existe des marchés durables à long terme pour ces produits et que la plupart des boîtes de carton fabriquées au Canada, par exemple, sont déjà faites à 100 % de matières recyclées et que l’industrie a besoin du papier et du carton des ménages comme matière première pour fabriquer de nouveaux emballages. Il faut aussi qu\’ils sachent que le recyclage crée des emplois locaux et des revenus publics, que la récupération du papier et du carton est un excellent exemple d’économie circulaire et que l’objectif de zéro déchet auquel, souhaitons-le, nous aspirons tous est dans notre intérêt collectif.
Les gouvernements provinciaux ont aussi un rôle essentiel à jouer en faisant sortir une plus grande quantité de papier du flux de déchets. Les gouvernements disent depuis des années à l’industrie des emballages de réduire, de réutiliser et de recycler. Et c\’est ce qu\’elle fait. Mais devinez quoi? Les provinces peuvent faire quelque chose elles aussi, quelque chose que l’industrie ne peut pas faire. Elles peuvent interdire l’élimination de certaines matières dans les sites d’enfouissement.
Pourquoi pas? Ce n\’est pas comme si ça n’avait jamais été fait. La Nouvelle-Écosse et l’île du Prince-Édouard interdisent les produits de papier dans les dépotoirs depuis des années. Une telle mesure ne serait-elle pas le meilleur moyen de dire à tout le monde que le papier ne doit pas se retrouver dans les sites d’enfouissement, qu’il s’agit d’une matière première précieuse, qu\’interdire les produits de papier dans les dépotoirs permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et d\’atténuer les changements climatiques? N’est-ce pas ce que nous sommes tous censés faire?
L’auteur anglais Charles Dickens avait en son temps décrit la politique comme l’art de se précipiter nulle part en toute hâte. Nous aimerions que certains gouvernements (d’accord, l’Ontario en particulier) se précipitent quelque part rapidement (indice : interdire l’élimination) encore plus hâtivement! Pour le moment, la province ne considère même pas d’interdire l’élimination du papier dans les sites d’enfouissement avant « 2019 et au-delà ». Ce qui se trouve commodément à être après la date prévue des prochaines élections. Ils devraient avoir honte! Dépêchons!